Des athlètes « extra-ordinaires » ? Les joueurs de l'équipe de cécifoot de Saint-Mandé font
l'étalage de leurs qualités techniques malgré un bandeau qui leur obscurci les yeux. Un moyen
pour eux de se libérer momentanément du handicap et de s'épanouir dans leur vie. Rencontre
lors d'un entraînement à Bezons.
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Yvan Woudandji, attaquant star de Saint-Mandé, accompagné du gardien Benjamin Photo : Martin Rigaud-Pezzoni |
En ce début mai, le temps est capricieux au dessus de la région parisienne. Un endroit semble
pourtant échapper à la morosité ambiante : l'Urban Five de Bezons. Lorsque l'on pousse la porte de
l'établissement sportif, l'atmosphère cosy est rythmée par le bruit des balles et des exclamations peu
communes reviennent avec insistance : « Voy, voy, voy, voy... ». Ces cris brefs et continus
proviennent d'un petit terrain - le ''Pelé'' - à l'écart des autres. À l'intérieur, une poignée de joueurs
s'entraînent avec application. Maillots sur le dos, crampons aux pieds et grands sourire aux lèvres,
ces sportifs s'apparentent à bon nombre de footballeurs. Pourtant, Yvan, Atar, Vignesh, Tidiane et
Hacène sont déficients visuels. Accompagnés du gardien Benjamin, de leur guide Loïc et de deux
autres bénévoles, ils forment l'équipe de cécifoot de Saint-Mandé.
Sur le terrain, l'intensité est de mise et la sueur ne tarde pas à faire son apparition sur les maillots
aux couleurs dépareillées. Les exercices avec et sans ballon s'enchaînent. Un joueur se démarque
des autres. Buste légèrement incliné en avant, Yvan Wouandji possède une facilité balle au pied et
une rapidité d'exécution qui détonne. « Il a une sacrée qualité technique » laisse échapper le guide
Loïc, admiratif. Affublé de son numéro 11, Yvan fait figure de star à Saint-Mandé. À 26 ans, le
franco-camerounais possède un beau palmarès avec un titre de champion d'Europe en 2011 et de
vice-champion paralympique avec l'équipe de France en 2012.
Le cécifoot, un autre football
« Le cécifoot, c'est du football à cinq adapté aux déficients visuels » nous explique Yvan Wouandji.
Cette discipline est pratiquée sur un petit terrain entouré de panneaux, pour éviter que le ballon à
grelots et les joueurs ne sortent. Ces derniers sont équipés d'un bandeau sur les yeux afin de « préserver l'équité », à l'exception du gardien qui est l'unique joueur valide. Yvan souligne le fait
qu'au cécifoot la communication est essentielle. « Sur le terrain, comme on ne se voit pas, on parle
beaucoup. Il y a plusieurs codes : « j'ai » quand on a la balle, « passé » ou encore « voy »
lorsqu'on n'est pas porteur de la balle. Cela nous permet de comprendre ce qui se passe sur le
terrain. »
Ces annonces régulières de la part des joueurs et le bruit continu des grelots du ballon rendent
l'entraînement très bruyant. Il faut ajouter à ce brouhaha ambiant le guide qui donne ses instructions
depuis la cage du gardien : « 12, 10, 9... axe, axe... tir ! ». Le rôle de guide est propre au cécifoot. Sa
mission consiste à indiquer la position de l'attaquant pour qu'il puisse visualiser le but. À Saint-
Mandé, le poste est occupé par Loïc, un étudiant, extrêmement jovial, « à la voix qui porte ».
Comme tous les membres du club, Loïc est bénévole. Le jeune homme est tombé dans le cécifoot
au hasard d'une rencontre avec Yvan Wouandji, lors d'un match de l'équipe de basket de Nanterre.
Loïc se laisse convaincre et teste le cécifoot au poste de gardien, puis de guide. Passionné de basket,
le cécifoot lui était alors inconnu. « Je n'avais jamais mis les pieds dans un five avant ma rencontre
avec Yvan » s'amuse Loïc.
Autonomie, entraide... des moyens d'oublier le handicap
À Saint-Mandé tout gravite autour d'Yvan. Aux manettes de l'entraînement ce matin, il ne manque
jamais de conseiller et d'encourager ses coéquipiers. Comme par exemple avec le jeune Atar, 16
ans, qui a un peu plus de mal aujourd'hui « à se signaler et à frapper ». Yvan s'occupe également de
promouvoir le cécifoot dans les médias et auprès du grand public. Avec ses coéquipiers, ils mènent
des actions de sensibilisation dans les écoles, les associations et les entreprises. « On essaie d'être
des ambassadeurs de notre cause à notre niveau » confie Yvan. Il retire son bandeau et son ton
devient un peu plus grave : « On veut que les gens nous jugent sur ce que l'on fait et non sur ce que
l'on a... On veut faire changer le regard sur le handicap et faire comprendre au grand public que
l'on vit comme tout le monde ». Ses coéquipiers acquiescent silencieusement.
« Lorsque j'ai perdu la vue, le cécifoot a été une véritable bouée » admet Yvan Wouandji.
L'attaquant explique qu'après avoir perdu la vue à 10 ans, le cécifoot l'a aidé à mieux appréhender
son handicap. « Sur le terrain comme dans la vie quotidienne, on appréhende les déplacements, les
mouvements et la communication. En jouant, j'ai vraiment l'impression de faire des parallèles
constant avec ma vie ». Comme le précise Yvan, la pratique du cécifoot permet ainsi de développer
des facultés d'analyse et d'écoute ou encore « d'améliorer le rapport à l'espace ». Tout cela permet
aux joueurs de gagner en autonomie et de mieux appréhender les tâches de la vie de tous les jours.
Défenseur loquasse de l'équipe, Vignesh met en avant le côté « émancipateur » du cécifoot. Il
souligne « l'importance de rencontrer des personnes qui ont chacun une expérience différente et
d'échanger par rapport à cela. Pour l'intégration sociale, c'est important ! ». Yvan renchérit: « Entre nous, on n'a pas le blocage du handicap ». En effet, tous les joueurs de l'équipe ont un
parcours qui leur est propre. À l'image de Tidiane, qui est arrivé en France en 2012 depuis la
Mauritanie. Le cécifoot a facilité l'intégration de ce grand gaillard à la « frappe surpuissante ».
Soutenu par ses coéquipiers, Tidiane devrait prochainement obtenir ses papiers et sûrement postuler
pour une place en équipe de France.
Cette solidarité et cette entraide dépasse le cadre purement sportif. Le cécifoot fédère les membres
du club, aussi bien non-valides, que valides. À l'image d'Yvan, Tidiane, Vignesh ou encore Loïc,
cette cohésion fait la force de l'AS Saint-Mandé. Une grande famille à la devise sans équivoque :
« Le partage est notre but ».